Alain de Libera
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L'influence de l'œuvre d'al-Ghazali ou Algazel est le résultat d'un hasard de transmission. En effet, l'œuvre « philosophique » d'al-Ghazali est une pure œuvre de théologien, dont l'original arabe comprenaient deux parties : un exposé des doctrines des « philosophes », où il présentait essentiellement la pensée philosophique d'Avicenne, et une réfutation des thèses philosophiques

incompatibles avec les enseignements du Coran. De ces deux parties absolument indissociables, seule la partie récitative a été traduite en latin par Gundissalvi. Al-Ghazali a ainsi été lu comme un philosophe, proposant une synthèse personnelle et maîtrisée des grands thèmes de la pensée avicennienne [...], alors que son intention était tout opposée.

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Le slogan philosophique est donc lancé par Averroès et par lui seul : [...] "aucune religion n'est vraie, même si elle peut être utile".

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C’est en réfléchissant sur des puzzles tels que le mouvement de l’ange ou le « moment précis de la transsubstantiation » que les théologiens médiévaux ont fait avancer la philosophie, développant des logiques non standard que l’élucidation des processus naturels assumés par la philosophie d’Aristote ne réclamait pas […] Les théologiens anglais du XIVe siècle, les

"calculatores", ne s'identifiaient pas aux philosophes de l’Antiquité, ils ne prétendaient pas savourer ni aimer un goût étrange venu de plus loin qu’ailleurs. En introduisant les notions de grandeur intensive et de proportion dans le champ de la physique, en mathématisant les qualités, en systématisant la pratique du raisonnement imaginaire - cette esquisse médiévale de l’ «

expérience de pensée » - , ils n’en ont pas moins, sans le vouloir, puissamment contribué au développement de la philosophie telle que nous l’entendons aujourd’hui. Comme intellectuels, les « averroïstes » parisiens du XIIIe siècle et les « calculatores » oxoniens du XIVe siècle ne vivaient pas dans le même monde spirituel. [Néanmoins] le régime de la "disputatio" est

l’élément fédérateur de toutes les attitudes philosophiques du Moyen Age. C’est la « question disputée » qui, organisée dans ses moindres détails par les constitutions universitaires (les statuts) a permis la double éclosion d’une philosophie de l’identification et d’une philosophie du jeu - identification éthique aux sages de l'Antiquité à Paris, jeux analytiques du langage

et de la pensée à Oxford. + Lire la suiteCommenter  J’apprécie          20

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La recherche du sujet et de la personne est le problème fondamental d'où est issue la notion moderne du sujet.

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L'entrée du "sujet" aristotélicien dans le dispositif trinitaire augustinien est le premier évènement décisif dans l'histoire scolastique de la subjecti(vi)té. Le second, qui en est comme la réciproque ou la contrepartie, consiste en l'introduction du "verbe" augustinien dans le dispositif noétique aristotélicien de l'abstraction. Dans les deux cas, Thomas d'Aquin a joué un rôle

décisif.

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L'agent se reconnaît lui-même comme "propriétaire" (owner) de ses acts, se les "approprie" en se les attribuant comme "siens", ou comme le dit lumineusement Locke dans sa définition juridique de la personne comme "terme de Barreau" "appropriant" des actions, la personne "prenant intérêt" à "des" actions "passées" "en devient responsable", parce qu'elle "les reconnaît" pour "siennes" et se

les "impute" sur le même fondement et pour la même raison qu'elle s'"attribue" des actions "présentes". Reconnaissance et "aveu" sont ici étroitement liés "dans" et "par" la langue, dans et par cet extraordinaire "échange conceptuel" qu'est la sémantique de "own", "owner", "owness".

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Descartes n'a pas inventé le sujet cartésien.

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La relation du sujet [antique] et de la personne est le problème fondamental d'où est issue la notion moderne de sujet.

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C'est cette dimension de l'"intentio" avicennienne qu'est censé avoir redécouverte Brentano en frappant la notion d'"orientation vers un objet", qui aurait elle-même donné naissance à l'intentionnalité husserlienne.

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Comme toute production de l'esprit dont la présence "culturelle" n'est que monumentale, la philosophie médiévale ennuie. Dix siècles, c'est beaucoup ; dix siècles mal éclairés, c'est trop.

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La philosophie "anglo-américaine" n'est pas la philosophie des vraies gens, faite par de vraies gens pour de vraies gens. C'est une philosophie "traditionnelle", élaborée par des professionnels à partir de problèmes particuliers, transmis selon des canaux précis sous une forme déterminée, dans le cadre d'un marché de l'emploi (job market) rigoureux, dictant le rythme et le format des

publications philosophiques. Le "sujet" et, plus encore, les "forces sans sujet" dont le sujet lui-même serait "plus ou moins précairement dérivé", sont, de ce point de vue, des spécialités exotiques, relevant de la tradition dite "continentale", voire "parisienne", qui a son public propre, généralement en dehors des départements de philosophie.

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L'anthropologie de Thomas d'Aquin est à la fois aristotélicienne et chrétienne dans la mesure où elle rejette le dualisme platonicien de l'âme et du corps, et fait de leur union non la marque d'une déchéance originelle (thèse évidemment commune à Platon et à l'anthropologie chrétienne platonisante) mais un "bénéfice naturel" et radical pour l'âme elle-même. En terme

philsophico-théologique cela signifie que l'état de séparation de l'âme et du corps est à la fois contraire à la nature comme telle et à l'"accomplissement de la personne humaine dans sa singularité propre".

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On a donné ici quelques-uns des symptômes de la longue maladie d'un aristotélisme indéfiniment (re)platonisé : la continuation de la théorie platonicienne de la causalité éponymique des Formes dans l'interprétation antique et médiévale de la notion aristotélicienne de paronymie ou la permanence de l théorie des 3 états de l'universel [...], forgée par la scolastique

néoplatonicienne des Vème et VIème siècle, transmise aux Latins par un "arabe", Avicenne, et un byzantin, Eustrate, standardisée par Albert Le Grand jusqu'à passer pour une invention du XIIIème siècle, avant que de finir, sous a plume des néo-albertistes, en structure portante du tous les choix philosophiques possibles.

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Abélard meurt en 1142, condamné. A cette époque, al-Farabi (mort en 950), "le second maître après Aristote" a produit une oeuvre immense ; Ibn Sina (Avicenne, mort en 1037) a donné une encyclopédie philosophique, le "Livre de la guérison" et un traité de médecine, le "Canon" ; le théologien Al-Ghazli (mort en 1111) a, entre autres choses, exposé puis réfuté la pensée des philosophes

dans deux livres fondamentaux : les "Opinions des philosophes", et la "Réfutation des philosophes" ; Ibn Rusd (Averroès) est né depuis seize ans - celui que le Moyen Age latin appellera "le Commentateur" mourra en 1198, laissant derrière lui une oeuvre qui, durant plusieurs siècles, restera le principal ferment de la réflexion philosophique occidentale.

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[Thèse de Thomas : ] l'âme n'est à proprement parler "sujet" que de ce qu'elle effectue elle-même par ses puissances ou partie dépourvues d'organe corporel, à savoir : l'acte de penser et celui de vouloir.

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La construction du modèle attributiviste* supposait que la référence thomasienne soit dépassée par de nouvelles questions posées à partir des réponsees de Thomas. Cette question a été : quel est le sujet de la pensée ? et la réponse sera : l'homme. Mais pour y arriver, il leur a fallu passer par : "Est-ce l'homme qui pense ou l'intellect ?" Cette question est formulée comme : "Quelle

est la cause efficiente de nos pensée ?" Pour approfondir, on se demande : "Quel est le sujet de la pensée ?"

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En dehors des "Catégories", Augustin n'a sans doute pas connu Aristote.

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Aristote ignorait-il donc le "moi" ? Telle quelle, la question n'a pas de sens. Du moins pas de sens historique. Elle n'en a pas plus que celle qui demanderait si Aristote ignorait "le" Cogito.

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Aristote ne parle jamais de "moi".